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La chute du mur de Berlin : la version d’Egon Krenz

Depuis samedi matin, radios et télé accordent une large place à la chute du mur de Berlin. « Pour faire œuvre de pédagogie auprès des plus jeunes », précisent les médias. Ce matin, moi aussi, je vais faire « oeuvre de pédagogie ». A ma manière.

Voici une interview de Egon Krenz réalisée à Berlin en septembre 2009 et publiée dans l’Humanité de novembre de la même année. 

Le dernier président du Conseil d’Etat de la République démocratique allemande (RDA) évoquait la chute du mur, le rôle de Gorbatchev, ses relations avec Kohl, ses propres erreurs, le socialisme.

Egon Krenz vit avec sa famille près de Rostock. Notre rendez-vous a eu lieu à Berlin dans un endroit discret. Il doit prendre des précautions, n’étant pas à l’abri d’une provocation. La presse de droite allemande le salit, l’insulte. Or, il n’a jamais commis le moindre crime et a tout fait pour que les événements de 1989 puissent se dérouler sans la moindre violence. Egon Krenz est un homme chaleureux, courageux, fidèle à ses engagements. L’autre jour à Berlin, il est descendu de sa voiture. En face, dans l’immeuble en construction, trois maçons l’ont reconnu. « Egon, droit toujours », lui ont-ils lancé. Ses yeux ont brillé un instant. Et nous avons parlé… 

JF. Vous avez été emprisonné pendant plusieurs années. Comment allez-vous ?

EK. J’ai la chance d’avoir une famille intacte et des amis fidèles. Les vrais, ceux qui gardent la tête haute. J’ai l’espoir que mes petits enfants réussiront ce nous avons tenté de construire. En 1989, ce n’est pas l’idée socialiste qui a été enterrée mais plutôt un certain modèle de socialisme. Je suis optimiste. Je ne crois pas que le capitalisme soit le dernier mot de l’histoire. Vous n’avez pas devant vous un personnage écroulé dans un petit coin d’Allemagne mais un homme debout.

JF. D’autres se sont écroulés ?

EK. Oui, malheureusement. La dureté de notre défaite et le triomphe de l’anticommunisme ont eu des retombées redoutables. Certains se sont retirés. D’autres ont déserté.

JF. Qui par exemple ?

EK ……. (Il me regarde fixement. Son regard lumineux soudain s’assombrit. Il garde le silence)

JF. Des membres du Bureau politique du parti socialiste unifié (SED), par exemple ?

EK. Notamment. Pour revenir à votre première question, ces années de prison ont été surtout dures pour ma famille car les attaques visaient mon honneur personnel. Je savais qu’on ne m’offrirait pas des fleurs. Pour une raison simple : dès son élaboration, la loi fondamentale de la RFA stipulait que les territoires allemands situés hors RFA devaient être récupérés, tous ceux y exerçant une fonction responsable étant considérés comme des criminels, des malfaiteurs. Je savais cela depuis longtemps. J’étais prêt à subir la prison. Mais je refusais et refuse toujours les accusations qui ont été portées contre moi. L’histoire me libérera. Mon sort personnel importe peu. En revanche, le calvaire vécu par de nombreux citoyens de la RDA relève de l’inadmissible. Je pense à tous ceux qui ont perdu leur travail alors qu’il n’y avait pas de chômage en RDA. Je pense aux intellectuels de la RDA décapités. Je pense à tous ceux qui ont été marginalisés. Un exemple parmi tant d’autres, celui de l’hôpital de la Charité à Berlin : la plupart des médecins, des spécialistes reconnus mondialement, ont été licenciés. La division de l’Allemagne n’était pas chose naturelle. Elle était contraire à notre histoire. Mais avez-vous remarqué que les dirigeants de la RFA ont tout mis en œuvre pour éviter la prison aux nazis. Moi, j’ai scrupuleusement respecté les lois de la RDA. Je n’ai commis aucun crime.

JF. Comment avez-vous vécu les derniers jours de la RDA ?

EK. Je ne suis pas de la génération de ceux qui venaient des camps de concentration, de la guerre, de la Résistance, de Moscou. Au bureau politique du SED, j’étais le plus jeune. Je suis un enfant de la RDA. Tous les autres avaient survécu au nazisme. J’ai exercé de nombreuses fonctions : de représentant des élèves dans mon collège jusqu’à la présidence du Conseil d’Etat. Avec la disparition de la RDA, c’est une bonne partie de ma vie que j’ai enterrée.

JF. Aviez-vous passé des accords avec le chancelier Kohl ?

EK. Nous avions décidé d’ouvrir plusieurs points de passage. La date avait été fixée par mon gouvernement au 10 novembre 1989. Or, la veille, un membre du bureau politique, Schabowski, a annoncé publiquement non pas l’ouverture de passages mais la « destruction du mur ». Nous nous étions mis d’accord avec Kohl pour l’ouverture en « douceur » des frontières. Il ne s’agissait pas à ce moment là de la fin de la RDA, de la fin du pacte de Varsovie et de Berlin comme territoire au statut particulier. Il s’agissait d’ouvrir les frontières.

JF. Avez-vous pensé, un moment, faire utilisation de la force ?

EK. Je peux jurer que nous n’avons jamais envisagé une telle décision. Je savais qu’un seul mort aurait eu des conséquences tragiques. L’utilisation de la force, et nous en avions les moyens, aurait conduit à la catastrophe. Nous avons refusé de tirer sur le peuple.

JF. Dans un de vos ouvrages vous vous élevez contre la réécriture de l’histoire.

EK. Tant de choses ont été écrites… Il faut en revenir à l’essentiel : sans Hitler, le nazisme, la Seconde guerre mondiale et la réforme monétaire de 1948, l’histoire de l’Allemagne aurait pu s’écrire autrement. Le malheur du peuple allemand, c’est le fascisme.

JF. Pensez-vous à vos propres responsabilités ? (Il observe un instant de silence puis s’approche de la table. Visiblement, il est ému)

EK. J’y pense constamment. Je pense au fossé entre la direction et la base, au déficit de confiance entre le parti et la population. Le manque de démocratie, de débat, la différence entre la réalité et la propagande. Les plus anciens refusaient le débat direct. Une terrible erreur. Il fallait combattre l’adversaire sur le plan des idées. Il fallait accepter la confrontation idéologique. Nous ne l’avons pas fait. Nous rencontrions de gros problèmes économiques et faisions comme si tout allait bien. Pour les citoyens de la RDA, les acquis sociaux étaient chose normale. Il fallait dire la vérité, montrer les difficultés, parler franchement. Nous n’avons pas su ou pas voulu ouvrir la société.

JF. Vous n’évoquez pas l’environnement international, la guerre froide, le rôle de l’Union soviétique et de Gortbachev.

EK. J’y viens. Je l’avoue, j’ai été naïf. J’avais une grande confiance en Gorbatchev, une grande confiance dans la perestroïka comme tentative de renouvellement du socialisme. J’ai rencontré Gorbatchev le 1er novembre 1989 à Moscou. Quatre heures d’entretien. Je lui ai dit : « Que comptez vous faire de votre enfant » ? Il me regarde étonné et me répond : « Votre enfant ? Qu’entendez-vous par là » ? J’ai poursuivi : « Que comptez-vous faire de la RDA ? » Il m’a dit : « Egon, l’unification n’est pas à l’ordre du jour ». Et il a ajouté : « Tu dois te méfier de Kohl ». Au même moment, Gorbatchev envoyait plusieurs émissaires à Bonn. Gorbatchev a joué un double jeu. Il nous a poignardés dans le dos.

JF. Egon Krenz, le Gorbatchev allemand, disait-on à l’époque.

EK. En 1989, je l’aurais accepté comme un compliment car l’interprétant comme reconnaissant mon action visant à améliorer, à moderniser, à démocratiser le socialisme. Pas à l’abattre. Aujourd’hui, si certains me collaient cette étiquette j’aurais honte.

JF. Vos relations avec Helmut Kohl ?

EK. Le premier entretien date des obsèques de Konstantin Thernenko à Moscou. J’accompagnais Erich Honecker et Kohl avait demandé à nous rencontrer. Les Soviétiques étaient opposés à cette rencontre et me l’ont fait savoir avec insistance. Erich Honecker s’est aligné. Mais comme le rendez-vous était déjà pris à notre résidence, Erich m’a dit en consultant sa montre : « Dis à Kohl que nous ne pouvons pas à l’heure indiquée. Tu prétexteras un entretien avec Gorbatchev à la même heure. Or, Erich Honecker n’avait pas mis sa montre à l’heure de Moscou. Nous avons vu arriver Kohl. Il s’est installé et nous a dit : « Enfin, une rencontre en famille ». Nous avons longuement parlé puis nous avons rédigé un court texte mettant l’accent sur le respect des frontières. Mon dernier contact a eu lieu le 11 novembre 1989. Kohl m’a téléphoné, a évoqué l’ouverture pacifique des frontières et m’a remercié.

JF. Vingt après la fin de la RDA, le socialisme selon vous est-il mort ?

EK. L’idée socialiste, les valeurs socialistes vivent et vivront. Je reste persuadé que l’avenir sera le socialisme ou la barbarie. Le système ancien est définitivement mort. Je considère que j’ai failli. A d’autres de construire le socialisme moderne et démocratique. Un nouveau socialisme.

Entretien réalisé par José Fort

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COMMENTAIRES  

09/11/2014 16:19 par Filo...

Actuellement sur les mur de Berlin apparaissent des tags ; "Communistes revenez, vous êtes pardonnés"
Cela nous dit longs sur les illusions des allemands.

A noter que les mérdias officiels n’ont pas pipés mot à ce sujet !

10/11/2014 09:50 par Fald

Filo, arrêtons la méthode Coué : un tag, quand bien même il représenterait une hirondelle, ne fait pas le printemps. Les communistes sont dans les choux, et pour encore longtemps, peut-être pour toujours, je le crains.

Sinon, quelque chose serait cocasse si ce n’était pas aussi tragique : ceux qui plastronnent tous les 5 ans à Berlin, depuis leur chère chute du mur, ils ont construit plus de 20 000 km de rideaux de fer et de murs à travers le monde (entre le Mexique et les USA, autour des territoires palestiniens, au Sahara occidental, entre l’Inde et le Bengladesh, entre l’Europe et la Turquie, entre le Maroc et les enclaves espagnoles d’Afrique, etc., etc., etc.....).

D’autre part, la frontière sud de l’Europe est tellement étanche que les migrants se noient en masse dans la Méditerranée et surtout dans l’Atlantique en essayant de passer. Là aussi, ce serait cocasse, si... : les Français qui parlent si bien de Berlin, en 1992, à la question intrinsèque mais primordiale du référendum sur Maastricht "est-ce que je suis pour que les Africains se noient en mer au lieu d’arriver chez nous ?", il ont répondu "oui" en se posant la main sur le cœur et en déclarant "je ne mêle pas ma voix à celle de Le Pen". ( Le Pen qui a eu le beurre et l’argent du beurre : un vote "oui" et la virginité politique d’avoir appelé, très mollement, à voter "non").

10/11/2014 21:47 par Geb.

Ouais !!!

Les Communistes "sont dans les choux"...

Ca dépend de ce qu’on entend par "Communistes".

Comme le disait Korsibsky : "La Carte n’est pas le territoire et le Nom n’est pas la personne concrète".

La vision humaine et humaniste de l’Avenir tu peux l’appeler comme tu veux... Elle ressortira toujours sous un nom ou un autre.

Et ce sera la vision de l’Avenir que NOUS avons, NOUS Communistes, appelée "communiste".

Et c’est dans les moments vraiment difficile qu’elle ressortira.

Du Capitalisme prédateur et pourri comme les fleurs sortent du fumier.

Dommage qu’on n’est pas du bon côté de la Force pour créer çà ici.

Nous, nous tomberons avec le Démons de l’Empire. Et c’est la punition à subir pour avoir suivi les mauvais bergers et avoir regardé notre nombril pendant qu’on affamait la Planète en notre nom et au nom d’un "humanisme interventionniste" dévoyé.

Mais ailleurs de nouvelles forces neuves et émergentes, qui représentent les trois quarts de la Planète, sont en train de se construire sur les ruines des anciens empires coloniaux.

Si ces pays trouvent leur voie, en tant que "communistes", ou n’importe quoi d’autre, (A condition que ça ne soit pas en liaison avec ce qu a déjà été fait), le Monde ne s’en trouvera que meilleur.

Ici, dans le Monde dit "occidental" qui se prend pour le nombril de l’Univers, il restera des cendres et des êtres sclérosés.

Je ne pense pas que ça me peinera beaucoup. Même si je suis compté dans le paquet cadeau et trop vieux pour me barrer.

Geb.

11/11/2014 14:39 par Filo...

@Geb
C’est exactement ça !
Le communisme, le vrai, le seul c’est justice et partage !
Point barre !
Les murs sont avant tout dans nos têtes. Et chez les politicard occidentaux nos seulement qu’ils ne sont pas détruits mais bien au contraire, ont tendance à se perpétuer.
Pourtant tout est une question de gymnastique de l’esprit.
C’est la fin d’hégémonie occidentale sur le reste du monde, la fin d’un système,
Mais faut il encore le reconnaître ; et c’est pas évident du tout. Alors c’est le choix d’une éperdue fuite en avant.
Très dangereux...

13/11/2014 00:00 par placide_prcf
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